Des puits verticaux mènent dans les profondeurs du glacier. Tout en bas, il y a la roche, mais personne n’est encore descendu jusque-là.
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Longtemps, descendre dans un glacier a été un tabou. Les risques semblaient trop grands. Aujourd’hui encore, rares sont ceux qui s’y aventurent. Les premières observations ont été réalisées par des chercheurs polonais au cours des années 1990 dans des glaciers du Spitzberg où le risque était raisonnable. Les conditions climatiques de l’hiver arctique sont idéales: le froid constant pénètre profondément jusqu’au fond du glacier et fige tout. Sous nos latitudes en revanche, l’hiver est imprévisible. Les températures peuvent à tout moment changer radicalement et provoquer l’arrivée soudaine d’eau de fonte. C’est une des raisons pour lesquelles la recherche sur les grottes des glaciers est rare dans les Alpes.
Les Polonais ont été suivis par des équipes internationales qui ont également exploré les glaciers de l’Himalaya. Aussi spectaculaires qu’aient été leurs observations, elles n’ont pas rencontré d’écho dans la communauté scientifique. La recherche dans les grottes glaciaires a été ravalée au rang de l’aventure. Un avis que le glaciologue écossais Doug Benn ne partage pas. Il a étudié pendant des années les lacs qui se forment sur les glaciers de l’Himalaya, cherchant à savoir comment ils se vidaient. Et il a trouvé la réponse dans les profondeurs, constatant que l’eau creusait son chemin dans les parties les plus vulnérables de la glace exactement comme elle le fait dans la roche. Ce qui prend des millions d’années dans une falaise se produit beaucoup plus rapidement dans la glace. Un canal d’évacuation peut se former en l’espace d’un été et se refermer l’hiver suivant. Il y a cependant encore beaucoup de points d’interrogation alors qu’il est toujours plus important de trouver des réponses.
Les glaciers devraient fondre l’un après l’autre au cours des prochaines décennies et libérer d’immenses réserves d’eau. La rupture de lacs glaciaires et le déferlement de vagues gigantesques pourraient alors menacer des vallées entières. Pour Doug Benn, «il est important d’explorer l’intérieur des glaciers pour en finir avec les théories simplistes sur le régime des eaux et comprendre ses processus complexes. Mais la plupart des glaciologues considèrent tout simplement que c’est de la folie. La plupart des accidents ont pourtant frappé des touristes à la porte des glaciers. Surtout en été lorsque des masses de glace peuvent de s’effondrer». En hiver, la glace est en revanche assez stable.
Nous découvrons au sol une mouche emprisonnée dans la glace. Cette rencontre ne nous rappelle pas seulement que le glacier ne lâche pas si facilement ce dont il s’empare, mais aussi que le sol plat sur lequel nous nous trouvons résulte du gel de l’eau de fonte. Nous sommes maintenant à septante mètres de profondeur et la tension augmente à mesure que nous descendons. Nous ne voulons pas envisager ce qu’il adviendrait si l’une des galeries se refermait derrière nous. Notre sort serait probablement similaire à celui de la mouche. Mais la glace semble aussi solide qu’une paroi de béton et ne donne pas l’impression de vouloir nous garder. «De toute façon, le plus grand danger, c’est l’eau», dit Hervé qui semble comprendre que ce n’est pas en raison de la fatigue que nous sommes de plus en plus silencieux. «Il y a aussi de l’eau ici en hiver. Mais cette année nous avons de la chance. L’hiver a été très sec et son niveau est très bas. Une crue subite serait dangereuse». Rien ne permet de l’envisager. Tout semble immobile: l’eau, la glace… le temps. Si nous n’étions pas certains du contraire, nous pourrions croire avoir basculé dans l’éternité.
Nous interrompons ici notre première expédition. Nous sommes certes encore loin du point le plus bas et nous pourrions descendre par paliers jusqu’à 150 mètres au-dessous de la surface du glacier. Mais à partir d’ici chaque nouveau pas serait aussi un pas dans l’inconnu pour Fred et Hervé. En outre, le chemin du retour est long et nous prendra déjà le reste de la journée. Le soleil a disparu depuis longtemps derrière les montagnes lorsque nous revenons à la surface. Seule la faible lumière des étoiles éclaire la plaine.