Intro
Exploitation minière artisanaleLa Suisse lutte contre l'or sale du PérouReportage
Mais depuis près d’une décennie, le prix du métal jaune n’a jamais été aussi élevé. Cette région du pays est prise d’une fièvre de l’or qui fait le lit de toutes sortes d’activités criminelles, au mépris des maigres efforts pour faire applique la loi.
Exploitation minière légale ou illégaleLes deux côtés de la route interocéanique au Pérou
«Seuls quelques-uns d'entre nous peuvent travailler ici légalement»
La situation n’est, cependant, pas aussi claire que le laisse supposer le tracé de la route interocéanique. La faible application des réglementations minières a entraîné, dans la région, une exploitation illégale généralisée, laquelle est à son tour responsable de la déforestation à grande échelle et de la pollution au mercure, selon les experts.
Reconnaître de l'or «sale» n’est pas évident. Les réseaux criminels et les mineurs illégaux dissimulent l’origine illicite de leur métal précieux. Ils mélangent or illégal et or légal avant de l’introduire sur le marché international, rapportent des mineurs, des commerçants et des représentants des forces de l'ordre que nous avons rencontrés au Pérou. Il est donc difficile pour les affineurs d’en connaître la provenance.
L’an dernier, Metalor a cessé de s'approvisionner auprès des mineurs artisanaux d'Amérique latine. Une décision prise après la saisie de 91 kilos d'or de l'exportateur local Minerales del Sur, destinés à la raffinerie suisse. Les autorités péruviennes soupçonnent que la cargaison contenait de l'or provenant de sources illégales, peut-être de Madre de Dios.
Opération Mercure
Tenter de faire juste
Tenter de faire justeLe mineur Juan Ttamiña
La parcelle de terrain qu'il peut exploiter se trouve dans le couloir minier – une zone de quelque 500’000 hectares (l'équivalent de près d'un million de terrains de football). L'extraction de l'or y est autorisée à condition que les normes environnementales et sociales soient respectées.
Critères de certification
Juan Ttamiña, mineur
Pour être certifié, le mineur doit prouver qu'il reboise des zones dégradées et adopte des techniques d'extraction sans mercure. Dans une structure spécialement conçue à cet effet, Juan Ttamiña a installé une table de secouage qui sépare l'or de la terre sans devoir recourir au mercure.
Son travail acharné a porté ses fruits. À l'époque, la famille ne disposait que de quelques brouettes et des pompes à eau motorisées pour évacuer le minerai. Aujourd'hui, le mineur d’âge mûr emploie 22 personnes qui utilisent des pelles et des camions modernes pour déplacer les matières minérales sur sa «cuadricula», une concession d'un kilomètre carré.
«La production n'est pas toujours la même: aujourd'hui, elle pourrait être plus élevée, mais aussi l’être moins», explique Juan Ttamiña alors que deux ouvriers terminent leur journée de travail. Ces derniers ont passé huit heures à nettoyer le minerai d'or, récolté dans deux gisements. Ils dorment sur place, dans un dortoir d’un étage en briques.
«On nous traite comme des illégaux, mais le gouvernement sait qui l’est et qui ne l’est pas»
Le marché noir
Walter Baca, ancien mineurLe marché noirComment ça marche
Se soustraire à la loi
Lorsque nous l'avons rencontré à Huepetuhe, Walter Baca a refusé de commenter ces allégations, mais il était prêt à partager ses connaissances et son expérience personnelle dans le commerce de l'or.
«Les plus grands fraudeurs, ces sont les acheteurs d'or, dit-il. Les gens continuent à travailler illégalement, parce qu'ils ont des obligations envers eux.»
Walter Baca est le neveu d'un couple célèbre – Gregoria Casas et Cecilio Baca – qui compte parmi les premiers exploitants de la mine d'or à ciel ouvert du Rio Huaypetue. Le couple, qui possédait 18 terrains miniers, a fait l'objet d'une enquête criminelle pour exploitation illégale et blanchiment d'argent pendant de nombreuses années, selon le journal d'investigation local «Ojo Publico».
L'ancien mineur ne commente pas les allégations portées à l’encontre de ses proches, mais déclare que de nombreux négociants locaux se livrent à des pratiques de corruption et à l'évasion fiscale. Il accuse ces derniers de manipuler le marché en contrôlant les prix et en n’émettant pas de facture, alors que les mineurs dépendent de ces acteurs.
A la question de savoir si elle avait connaissance d'une complicité entre les principaux acheteurs dans la région de Madre de Dios et de l'accusation selon laquelle ils cumulent leurs achats, Metalor répond: «Non. Nous n’achetons aucun matériau dans la région.»
Un porte-parole de l'entreprise déclare à swissinfo.ch que Metalor s’est «fortement engagé» dans le processus de légalisation au Pérou et a fait part de son inquiétude aux autorités péruviennes au sujet de la traçabilité. «Toutes les réponses que nous avons reçues au fil du temps des différentes autorités au Pérou ont été très rassurantes», écrit le porte-parole dans un courriel.
«Nous étions, toutefois, déçus, parce que le cadre réglementaire et d'application ne s’avérait pas assez solide», ajoute-t-il.
«Les gens travaillent à la sauvette»
Selon lui, l'absence d'autorité gouvernementale avant l'opération Mercure a permis aux mineurs de travailler à leur guise. Lorsque le prix du métal a augmenté, beaucoup ont investi dans des machines lourdes pour pouvoir creuser plus profondément dans la jungle, polluant les cours d'eau et les sous-sols avec du mercure au fur et à mesure de leur avancée. Bien que le Pérou ait ratifié un traité international sur la réduction de la pollution au mercure en 2018, ce métal lourd toxique reste largement vendu en ligne dans le pays.
«Le processus de légalisation n’a pas d’objectif», déplore-t-il. «C'est comme s'il se dirigeait tout droit vers un gouffre.»
Il y a six ans, l’armée péruvienne a détruit ses équipements dans le cadre d'une opération visant à bannir l'exploitation minière illégale. L’ancien mineur loue désormais du matériel «aux travailleurs en cours de légalisation».
La plupart des mineurs ont fui la région minière interdite de La Pampa lorsqu'ils ont eu connaissance de l'opération. Plus de 200 personnes ont été arrêtées et des millions de dollars de matériel ont été saisis et démolis.
Walter Baca se souvient de sa propre expérience à Rio Huaypetue: «Les gens travaillent à la sauvette. Alors que le gouvernement bombarde les camps et saisit le matériel, les mineurs travaillent comme des fous. La stratégie du gouvernement n’est pas la bonne.»
Le général Luis Vera, chef de la police nationale, qui nous a reçu à Lima, indique que ses équipes ont trouvé de nombreux endroits de ce genre lorsqu'elles ont investi la région des mines illégales.
«Il y a eu beaucoup d'abus et de disparitions, car il n’y avait pas d’autorité publique», précise-t-il. «Les gros bonnets des exploitations minières illégales faisaient la loi.»
«Parfois, on peut entendre les moteurs vrombir au loin», raconte Doris. Cette femme, qui refuse de donner son vrai nom, tient une auberge le long de la route.
«Il y a beaucoup d'or là-bas. Dans un bon jour, ils peuvent gagner jusqu’à 1000 soles.» (soit l'équivalent de 290 CHF).
La déforestation due aux mines d'or a diminué de 92% entre 2018 (900 hectares) et le premier semestre de 2019 (67 hectares), ce qui représente la situation avant et après le début de l'opération Mercure, selon le «Monitoring of the Andean Amazon Project».
«Nous poursuivons les entreprises qui achètent l'or et lui confèrent une apparence légale»
Mensonges, dissimulation et pollution
Mensonges, dissimulation et pollution
L'air est pollué au mercure
La connexion suisse
En route pour la Suisse
Credits
Credits
Credits
Photos: Sebastian Castañeda et Paula Dupraz-Dobias (photos additionnelles ATS-Keystone)
Graphiques: Kai Reusser et Alexandra Kohler
Vidéo: Sebastian Castañeda et Paula Dupraz-Dobias
Production: Dominique Soguel
Appendix: Metalor responds
Metalor réagit
Metalor réagit
À notre connaissance, les autorités péruviennes poursuivent l'enquête sur Minerales del Sur. Metalor n'étant pas inculpée, nous ne disposons pas d'autres détails.
Le ministère public péruvien a-t-il pris contact avec Metalor depuis la saisie de 91 kilos d'or en 2018?
Il nous a été demandé de fournir des informations sur nos relations commerciales avec la société Minerales del Sur. Nous avons livré tous les documents nécessaires (accord, factures, preuve de virements bancaires, etc.) en temps voulu.
À votre connaissance, Minerales del Sur était-elle au courant de l'origine de l'or de cette cargaison?
La documentation associée à chaque cargaison contenait tous les détails nécessaires, y compris la concession minière d'où provenait l’or. Nous n'avons aucune raison de croire que ces informations étaient incorrectes, mais nous ne pouvons le garantir. L'enquête le déterminera.
Metalor reconsidère-t-elle ses achats au Pérou alors que le gouvernement a renforcé son engagement à légaliser le travail des mineurs d'or de Madre de Dios – lesquels doivent respecter les normes environnementales et sociales – tout en sévissant contre les mines illégales de La Pampa?
Nous nous félicitons d'une telle déclaration, mais elle doit être transformée en actes concrets et durables. Madre de Dios est une région où nous ne nous approvisionnons pas et nous ne pensons pas que cela va changer, du moins dans un avenir proche. S’agissant des mines artisanales toutefois, nous pourrions examiner différentes options, mais cela doit se faire dans le cadre d'un effort concerté de toutes les parties concernées (agences gouvernementales, mineurs, autorités locales et ONG). Jusqu'ici, nous n’y sommes pas parvenus. Au Pérou, nous continuons à travailler avec des mines industrielles.
Que répond Metalor aux critiques – notamment du gouverneur de Madre de Dios – demandant que l'entreprise aide les mineurs dans le processus de légalisation et les soutienne éventuellement dans l'acquisition de technologies permettant d’éviter la pollution au mercure, plutôt que de cesser ses acquisitions dans le pays?
Metalor a fortement soutenu le processus de légalisation. C'est le meilleur moyen pour les mineurs d'obtenir un prix équitable pour leur or et donc d'améliorer leurs conditions de travail, en appliquant notamment les meilleures pratiques qui ne polluent pas l'environnement. La société ne peut, cependant, assumer seule cette responsabilité. Comme mentionné préalablement, un effort concerté de toutes les parties concernées est nécessaire.
Que savez-vous de la provenance de l'or via vos fournisseurs directs? Dans quelle mesure vos sources sont-elles transparentes quant à l'origine de l'or?
Veuillez vous référer à la réponse ci-dessus concernant les documents relatifs aux cargaisons.
Avez-vous déjà rompu des relations commerciales avec des sociétés minières, parce qu'elles prétendaient produire plus d'or que ce qui est physiquement possible? Si oui, avec quelles entreprises?
Nous surveillons les volumes pour éviter des situations comme celle que vous décrivez. Oui, nous avons mis fin à des relations pour des raisons de conformité. Nous ne sacrifions pas nos valeurs sur l’autel des affaires.
Metalor a-t-elle déjà fait part aux autorités péruviennes de ses inquiétudes concernant l'origine de l'or, voire de la faiblesse de l’application de la loi relative à l'achat de ce métal?
Oui, au moment où nous nous sommes engagés dans le processus de légalisation et régulièrement depuis lors. Toutes les réponses que nous avons reçues au fil du temps des différentes autorités péruviennes (ministre des mines, Activos Mineros, bureau de légalisation, Sunat) ont été très rassurantes. Nous sommes néanmoins déçus, car le cadre réglementaire et d'application ne s’avère pas assez solide.
Avez-vous connaissance d'une quelconque complicité entre les principaux acheteurs d'or de Madre de Dios. Peuvent-ils échanger ou cumuler leurs achats?
Non. Metalor n’acquiert pas de matériau dans cette région.